La fin de la "récréation fiscale" a-t-elle sonné pour les multinationales, pour reprendre l'expression de Pascal Saint-Amans ? Depuis octobre 2015, les États de l'OCDE mettent en place de nouvelles règles internationales en matière de fiscalité. Un projet baptisé BEPS vise à inciter les grands groupes à plus de transparence et d'éthique fiscale.
De quoi s'agit-il ?
En octobre 2015, l'OCDE a présenté un ensemble de mesures destinées à endiguer l'évasion fiscale des entreprises multinationales.
Ce projet a été baptisé BEPS (pour Base erosion and profit shifting, c'est-à-dire "érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices"), en référence aux stratégies de planification fiscale des multinationales.
Celles-ci domicilient leurs actifs immatériels (brevets et licences d'exploitation, marques) dans des paradis fiscaux et profitent ainsi d'une optimisation fiscale qui pénalise les pays où sont réellement exploités ces actifs et où ils génèrent des revenus. En d'autres termes, les entreprises vendent leurs produits chez nous, mais payent l'impôt ailleurs, là où il est inexistant ou très faible.
Selon l'OCDE, les montages des multinationales représentent un manque à gagner de 90 à 210 milliards d'euros. C'est pourquoi 62 pays se sont mis d'accord pour tenter de mettre un terme à cette situation.
Là où jusqu'à présent, chaque État posait ses propres règles, les membres de l'OCDE se sont concertés pour établir une règle commune.
Quel est le plan d'action du projet BEPS ?
Le projet BEPS consiste en un ensemble de 15 mesures devant permettre l'émergence d'un nouveau corpus de règles fiscales internationales, applicables aux multinationales réalisant au moins 750 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Les 15 actions préconisées sont les suivantes :
Action 1 : Relever les défis fiscaux posés par l'économie numérique
Action 2 : Neutraliser les effets des dispositifs hybrides
Action 3 : Concevoir des règles efficaces concernant les sociétés étrangères contrôlées
Action 4 : Limiter l'érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d'intérêts et autres frais financiers
Action 5 : Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance
Action 6 : Empêcher l'octroi des avantages des conventions fiscales lorsqu'il est inapproprié d'accorder ces avantages
Action 7 : Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d'établissement stable
Actions 8-10 : Aligner les prix de transfert calculés sur la création de valeur
Action 11 : Mesurer et suivre les données relatives au BEPS
Action 12 : Etablir des règles de communication obligatoire d'information
Action 13 : Orienter la documentation des prix de transfert et les déclarations, pays par pays
Action 14 : Accroître l'efficacité des mécanismes de règlement des différends
Action 15 : Elaborer un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales bilatérales
En résumé, ces recommandations visent à ce que les profits soient localisés dans les pays où ont réellement lieu les activités économiques et non dans des pays qui font du dumping fiscal. L'impôt devra être payé par l'entreprise là où sont produits les biens et la richesse.
Les multinationales devront aussi faire preuve de plus de transparence en fournissant aux diverses administrations fiscales des informations sur leur groupe et leurs activités, le nombre de leurs employés, la spécificité de chaque site, le chiffre d'affaires de chaque filiale, etc.
Pourquoi cette réforme ?
Suite à la crise de 2008, les États ont dû réduire les budgets publics et le fait que de grandes entreprises échappent partiellement à l'impôt a été de plus en plus mal vu par l'opinion publique.
C'est dans ce contexte que les membres de l'OCDE ont lancé en février 2013 le projet BEPS afin de lutter contre les stratégies fiscales des multinationales qui entraînent un manque à gagner conséquent pour les États.
Bien sûr, la mise en oeuvre ce ce plan demande du temps car le BEPS fournit seulement un cadre. Il revient ensuite à chaque État d'assurer sa mise en œuvre concrète.
Signe encourageant, de nombreux pays du G20 se sont prononcés en faveur de cette nouvelle réglementation et devraient donc l'intégrer progressivement dans leurs systèmes juridiques.
Est-ce efficace ?
Les grands groupes continueront sans doute à chercher (et à trouver) des moyens de contourner la loi, mais une évolution est en marche.
Suite notamment au scandale des Panama Papers les entreprises ont tout intérêt à modifier leurs pratiques pour protéger leur réputation.
Les temps changent, de plus en plus de pays vont adopter des règles fiscales communes et les multinationales mettent en jeu leur réputation si elles rechignent à s'y conformer.